Une troisième voie pour améliorer le système de santé français

from Collège des économistes de la santé at https://bit.ly/3ph7WQp on December 21, 2021 at 07:14PM

Malgré une crise sanitaire qui n’en finit pas, le thème de la santé peine à s’imposer dans une campagne électorale engluée dans des problématiques identitaires et sécuritaires. Les sondages structurels (non électoraux) mettaient pourtant la santé au premier rang des préoccupations des français : selon le baromètre CSA en 2020, ou même dès 2016, selon le baromètre BVA cette fois.

Afin d’éclairer et de susciter le débat, le CES (Collège des Economistes de la Santé) vient de publier un ouvrage collectif intitulé sobrement « Le système de santé français aujourd’hui : enjeux et défis » (éditions ESKA). Cet ouvrage réunit 30 contributeurs, économistes de la santé français, et ambitionne d’analyser et de disséquer les principaux défis auxquels notre système de santé fait face. De façon dépassionnée, et sur la base d’une littérature scientifique nationale et internationale, le Collège tente également de proposer des pistes de recommandations pour rendre le système plus efficient et plus juste.

Ces solutions contribueraient à renforcer un modèle original dans le paysage mondial, ni étatique, ni privatisé, avec la juste balance qui semblait caractériser le système de santé français jusqu’ici.

La pandémie : révélatrice des insuffisances du système de santé français

La pandémie de COVID-19 a souligné, parfois avec cruauté, certaines insuffisances du système. Elle a d’abord mis en lumière l’absence d’une stratégie territorialisée de gestion du risque sanitaire et l’incapacité de prendre des décisions adaptées à un niveau infranational. Elle exacerbe la rigidité d’un système de soins trop centralisé, spécialiste de la prise en charge de malades chroniques à l’hôpital public. Elle pose aussi la question du rôle de la médecine libérale et des cliniques privées, qui ont été peu mobilisées au début de la crise sanitaire. Cette pandémie a engagé un système de santé sous-équipé dans une course de fond à laquelle il n’est pas entrainé. Mais elle a aussi révélé une véritable capacité d’adaptation des professionnels de santé à l’hôpital et en ville et des industriels pharmaceutiques, accélérant les processus d’innovation thérapeutique et technologique, avec le succès constaté d’une production de vaccins à l’échelle internationale, bien que la distribution effective de ces vaccins dans les pays du Sud reste encore à réaliser.

Les défis sont donc de taille et préexistaient bien avant les premières manifestations de cette pandémie. Y figurent en bonne place : l’accès aux soins primaires sur tout le territoire, le manque de coordination entre médecine de ville et hôpital, d’une part, et entre acteurs du soin et de la sphère médico-sociale, d’autre part ; le déficit de prévention et le délaissement relatif de la santé publique (comparé à d’autres pays) avec par exemple, la surconsommation de tabac et d’alcool, ou encore de manière plus générale les inégalités sociales de santé et d’accès aux soins.

Quelles recommandations ?

Les contributeurs du CES ciblent sept grands chantiers: (1) repenser l’organisation du financement des dépenses de santé, (2) améliorer la couverture du risque santé et du risque dépendance, (3) réorganiser en profondeur l’offre de soins, (4) développer les systèmes d’information en santé, (5) réfléchir au budget à consacrer à l’innovation médicale, (6) définir une stratégie de santé publique plus ambitieuse et plus systémique et (7) accroître la place de l’évaluation (médico) économique dans les décisions en santé.

Tout d’abord, l’organisation du financement des dépenses de santé devrait être repensée et décentralisée. Repensée dans une logique plus inclusive et moins segmentée des différents sous-objectifs nationaux des dépenses d’assurance maladie (soins de ville, établissements de santé…) ; décentralisée en vue d’une organisation des soins et d’une définition ex ante du budget tenant compte des besoins de la population locale.

Les périmètres respectifs des paniers de soins couverts d’une part par l’Assurance maladie obligatoire, d’autre part par les organismes complémentaires doivent être redéfinis afin que ces derniers ne couvrent pas les mêmes soins que l’assurance publique et que soient réduits les frais de gestion. On parle de « grande sécu »… (cf. Blog du CES de Florence Jusot et Jérôme Wittwer). Au minimum, les complémentaires-santé devraient évoluer vers des assurances dites plutôt « supplémentaires » répandues à l’étranger, agissant sur un panier de soins privés restreint et surtout distinct du panier de soins publics.

Par ailleurs, le système de financement de la dépendance pourrait relever d’une logique assurantielle clairement établie, couvrant le risque-dépendance selon son niveau de sévérité mais indépendamment du niveau de l’aide informelle reçue dans l’environnement familial et du mode de prise-en-charge choisi.

Il importe également de continuer à réduire les barrières financières qui subsistent pour l’accès aux soins de spécialistes, aux soins dentaires et d’optique et également aux soins préventifs. L’objectif de réduction des inégalités sociales de santé nécessite de mener une politique de santé publique ambitieuse, globale et coordonnée, pour faire face aux déterminants multiples de ces inégalités dont certains interviennent tôt dans les itinéraires personnels (éducation, revenu, épisodes de précarité présents et passés, conditions de travail présentes et passées, recours au dépistage, comportements à risque, accès aux soins, etc.).

La réorganisation de l’offre de soins, évoquée par une grande partie des contributeurs à cet ouvrage, porterait quant à elle sur plusieurs volets :

Le système de paiement tout d’abord. Celui des médecins reste encore massivement fondé sur le paiement à l’acte. Des systèmes de paiement au forfait liés à la qualité des soins ou au suivi des patients pourraient être généralisés dans tous les secteurs (hôpital, en ville, en médico-social). Le développement de nouveaux modes de rémunération plus coopératifs, comme des paiements forfaitaires collectifs associant la ville et l’établissement de santé, devraient être renforcés. Ils accompagnent en effet une meilleure coordination entre la ville et l’hôpital et correspondent davantage au développement des nouvelles pratiques, notamment celles aujourd’hui permises par la télémédecine.

La lutte contre les zones sous-dotées ensuite. La suppression récente du numerus clausus et l’arrivée de médecins formés à l’étranger qui s’installent (parfois) dans les zones difficiles sont des outils potentiels d’amélioration de l’accessibilité aux soins à saisir. Toutefois, il importe de développer encore les connaissances, à la fois sur les déterminants des choix d’installation des médecins formés dans les universités françaises, mais également sur les logiques d’installation et de maintien des médecins étrangers dans les zones sous denses. Les incitations financières existent depuis de nombreuses années, mais ne semblent pas avoir eu d’influence réelle sur les installations dans les zones prioritaires. L’ouvrage questionne la mise en place de mesures incitatives améliorant l’attractivité des zones sous-denses, mesures monétaires et non-monétaires telles que l’accompagnement au développement de modes d’exercice en groupe pluriprofessionnel et à la coopération entre professionnels de santé, notamment entre généralistes et infirmiers.

Le développement des systèmes d’information en santé, à l’hôpital, en ville, et à leur intersection, constitue également un enjeu fort. Deux leviers sont notamment proposés : le développement d’un système d’information en médecine de ville, comparable à celui à l’hôpital, et la mise en place d’un large éventail d’indicateurs de qualité relatifs à l’ensemble des soins (dans le secteur hospitalier, médico-social et ambulatoire) et non plus uniquement centrés sur le processus de soins hospitaliers. Il importe de généraliser l’utilisation du dossier médical partagé et aussi la collecte de résultats de santé et d’expériences rapportées par les patients, pour que les professionnels de santé soient sensibilisés à l’importance d’utiliser de telles mesures et en tirent le meilleur parti, sans crispations négatives.

De façon générale, l’innovation médicale (télémédecine, dispositifs de e-santé,…) est susceptible de modifier en profondeur l’organisation de notre système de santé y compris en matière d’accès aux soins. Trois types d’innovations sont analysées dans l’ouvrage : la médecine génomique, la e-santé et les médicaments innovants. Le rôle des économistes est de proposer des méthodologies permettant d’évaluer rigoureusement ces innovations. Il semble ainsi souhaitable de développer des analyses fondées sur les préférences sociétales et de recourir plus fréquemment à l’évaluation (médico)économique, par exemple pour définir une valeur de référence à comparer au prix demandé par les industriels, particulièrement les nouveaux-entrants du secteur, venant du numérique, qui pourraient parfois avoir tendance à surestimer la plus-value sociétale de leurs produits.

Sur un autre sujet, les dispositifs expérimentaux, visant à réduire les inégalités sociales de santé, à améliorer la répartition des médecins sur le territoire ou à accroître les comportements de prévention, sont actuellement insuffisamment développés en France.

Enfin, mobiliser de façon plus systématique l’évaluation des politiques publiques et l’analyse médico économique comme outil d’aide à la décision en santé est un des messages clés de cet ouvrage. Le recours plus systématique à des méthodes d’évaluation des politiques ou interventions publiques de santé permettrait d’évaluer leur effet causal, par exemple dans le cadre d’essais randomisés, et de promouvoir des dépenses de santé efficientes.

Une fois encore, ces solutions contribueraient à renforcer un modèle hybride, ni étatique, ni privatisé, qui fait l’originalité du système de santé français de par le monde.

Cette tribune a été publiée sur le site The Conversation le 16 décembre 2021.

Elle est accessible ici : https://theconversation.com/une-troisieme-voie-pour-ameliorer-le-systeme-de-sante-francais-173852

Elle s’appuie sur l’ouvrage suivant : « Le système de santé français aujourd’hui : enjeux et défis », 2021, Ouvrage collectif du Collège des Economistes de la Santé, Barnay T (dir), Samson A-L (dir), Ventelou B (dir), Editions ESKA. (lien)